Au nom de la très sainte et indivisible Trinité, S. M.
l'Empereur des Français ayant exposé les considérations qui, par suite des changements
survenus dans les rapports territoriaux entre la France et la Sardaigne, lui faisaient
désirer la réunion de la Savoie et de l'arrondissement de Nice à la France, et S. M. le
Roi de Sardaigne s'étant disposé à y acquiescer, Leurs dites Majestés ont décidé de
conclure un traité à cet effet et ont nommé pour plénipotentiaires, savoir :
S. M. l'Empereur des Français, M. le Baron de
Talleyrand-Périgord, commandeur de son ordre impérial de la Légion d'honneur, son
envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire auprès de S. M. le Roi de Sardaigne;
et M. Vincent Benedetti, commandeur de l'Ordre impérial de la Légion d'honneur,
conseiller en son Conseil d'Etat, son ministre plénipotentiaire et directeur des Affaires
politiques au département des Affaires étrangères
et
S. M. le Roi de Sardaigne, Son Exc. M. le comte Camille
Benso de Cavour, chevalier de son ordre suprême de la Très Sainte Annonciade, président
du Conseil et ministre des Affaires étrangères, notaire de la Couronne; et son Exc. M.
le chevalier Charles-Louis Farini, chevalier de l'ordre suprême de la Très Sainte
Annonciade, son ministre secrétaire d'Etat pour les Affaires étrangères.
Lesquels après avoir échangé leurs pouvoirs en bonne et
due forme, sont convenus des articles suivants :
Note : soixante-huit ans seulement se
sont écoulés entre la première annexion (1792) et la deuxième (1860), soit à peine
deux générations. Or le vocabulaire de la souveraineté est soigneusement exclu du
traité : le duc de Savoie n'est appelé que Roi des Sardaigne, les savoisiens portent le
noms de Sardes et le peuple souverain de la Savoie n'est évoqué que par le terme vague
de populations. C'est ainsi que la France espérait acquérir pour toujours la Savoie et
assimiler son peuple au peuple français.
Article premier - Sa Majesté le Roi de Sardaigne
consent à la réunion de la Savoie et de l'arrondissement de Nice (circondario di Nizza)
à la France et renonce pour lui et tous ses descendants et successeurs en faveur de S. M.
l'Empereur de Français, à ses droits et titres sur lesdits territoires. Il est entendu
entre Leurs Majestés que cette réunion sera effectuée sans nulle contrainte de la
volonté des populations et que les gouvernements de l'Empereur des Français et du Roi de
Sardaigne se concerteront le plus tôt possible sur les meilleurs moyens d'apprécier et
de constater la manifestation de ces volontés.
Note : l'article premier est un
engagement à respecter la neutralité des "populations". Lors du plébiscite
qui sera organisé un mois plus tard (21 et 22 avril 1860), ladite volonté sera
clairement exprimée par la quasi-totalité de la Savoie du Nord, au moyen de bulletins
OUI ET ZONE. Les limites de la grande zone franche avaient été
clairement montrées aux Savoisiens, préalablement à leur vote. L'établissement de
cette zone franche par décret impérial du 12 juin 1860 n'est donc pas une concession
unilatérale de la France (qui serait donc révocable) mais bien la matérialisation
juridique d'une promesse faite pour obtenir le consentement des Savoisiens. La grande zone
franche est donc un droit irrévocable, dont le retrait (1923) entraîne la caducité du
traité de 1860.
Art. 2. - Il est également entendu que S. M. le Roi
de Sardaigne ne peut transférer les parties neutralisées de la Savoie qu'aux conditions
auxquelles il les possède lui-même et qu'il appartiendra à S. M. l'Empereur des
Français de s'entendre à ce sujet, tant avec les puissances représentées au Congrès
de Vienne, qu'avec la Confédération helvétique et de leur donner les garanties qui
résultent des stipulations rappelées dans le présent article.
Note : l'article second transmet dans
l'espace français la neutralité perpétuelle de la Savoie, ainsi que tous les droits
acquis afférents à cette zone. Le non-respect de cet article lors de la guerre de
1914-1918 ainsi que l'abolition de cette neutralité lors du traité de Versailles
constituent également une dénonciation du Traité d'annexion.
Art. 3. - Une commission mixte déterminera, dans un
esprit d'équité, les frontières des deux Etats en tenant compte de la configuration des
montagnes et de la nécessité de la défense.
Art. 4. - Une ou plusieurs commissions mixtes seront
chargées d'examiner et de résoudre, dans un bref délai, les diverses questions
incidentes auxquelles donnera lieu la réunion, telles que la fixation de la part
contributive de la Savoie et de l'arrondissement de Nice (circondario di Nizza) dans la
dette publique de la Sardaigne, et de l'exécution des obligations résultant des contrats
passés avec le gouvernement sarde, lequel se réserve toutefois de terminer lui-même les
travaux entrepris pour le percement du tunnel des Alpes (Fréjus).
Art. 5. - Le gouvernement français tiendra compte
aux fonctionnaires de l'ordre civil et aux militaires appartenant par la naissance à la
Savoie et à l'arrondissement de Nice (circondario di Nizza) et qui deviendront sujets
français, des droits qui leurs sont acquis par les services rendus au gouvernement sarde;
ils jouiront notamment du bénéfice résultant de l'inamovibilité pour la magistrature
et des garanties assurées à l'armée.
Art. 6. - Les sujets sardes originaires de la Savoie
et de l'arrondissement de Nice, ou domiciliés actuellement dans ces provinces, qui
entendent conserver la nationalité sarde, jouiront pendant l'espace d'un an à partir de
l'échange des ratifications et moyennant une déclaration préalable faite à l'autorité
compétente, de la faculté de transporter leur domicile en Italie et de s'y fixer, auquel
cas la qualité de citoyen sarde leur sera maintenue. Ils seront libres de conserver leurs
immeubles situés sur les territoires réunis à la France.
Art. 7. - Pour la Sardaigne, le présent traité sera
exécutoire aussitôt que la sanction législative nécessaire aura été donnée par le
Parlement.
Art. 8. - Le présent traité sera ratifié et les
ratifications en seront échangées à Turin dans le délai de dix jours, ou plus tôt si
faire se peut. En foi que quoi les plénipotentiaires respectifs l'ont signé et y ont
apposé le cachet de leurs armes.
Fait en double expédition à Turin le vingt quatrième jour
du mois de mars de l'an de grâce 1860.