La France n'a, en Savoie, d'autre légitimité qu'un traité
d'annexion, ce qui constitue encore un fait unique dans l'espace Français.
Le référendum d'annexion s'est traduit par 99,8 % de OUI,
mais il est fortement sujet à caution :
Le traité d'annexion constitue seulement la ratification
d'un échange entre deux souverains (Victor-Emmanuel II et Napoléon III). Il ne
s'agissait probablement pas pour Napoléon III de respecter le droit des nations ou la
libertés des peuples à disposer de leur avenir, mais davantage de la crainte de voir les
autres nations d'Europe contester cette annexion, ruinant ainsi le marché qui avait été
passé secrètement avec Victor-Emmanuel II.
Que prouvent de bons résultats ? Ceaucescu était
régulièrement réélu en Roumanie mais les résultats étaient-ils crédibles? Dans les
Etats Baltes, après l'invasion Soviétique, des élections furent tenues pour ratifier le
rattachement à l'Union Soviétique ! Napoléon III avait une conception très personnelle
du bien des peuples : en 1850 il réduisit le suffrage universel et, pour conserver son
pouvoir, eut recours à un coup d'Etat qu'il s'empressa de légitimer par un plébiscite :
lors de ce vote il y eu plus de suffrages exprimés que d'inscrits. La manipulation de
l'opinion et des suffrages populaires était facilitée par la mise en place d'un
véritable Etat policier : Napoléon III avait fait voter une loi dite de Sûreté
Générale, qui permettait toutes les iniquités. Il contrôlait totalement la presse et
exigeait de tout fonctionnaire un serment de fidélité.
Contrairement au discours du trône du 1er
mars 1860 où Napoléon III assurait que l'annexion de la Savoie ne sera "ni par
une occupation militaire, ni par des sourdes manuvres, mais en
exposant franchement la question aux grandes puissances", les troupes
françaises sont déjà casernées en Savoie du Sud, un traité secret qui règle le sort
de la Savoie signé depuis un an et les agents annexionnistes déjà à l'uvre sur
le terrain. Avant le plébiscite, une profonde épuration du personnel administratif est
effectuée par les deux gouverneurs intérimaires nommés par la France : tous les syndics
(maires) suspects qui n'ont pas démissionné d'eux-mêmes sont destitués; les nouvelles
listes électorales sont dressées par les comités pro-français; une intense campagne de
propagande est lancée, en indiquant en particulier que "l'on ne peut s'opposer
à l'annexion; quiconque le ferait se retrouverait au bagne de Cayenne, sans même qu'il
soit besoin d'aucun jugement: il suffirait, pour cela, d'user des lois d'exceptions qui
existent en France". Durant le plébiscite, les bulletins NON étaient absents,
de même que les isoloirs. La fraude fut également massive : à Bogève, 171 bulletins
OUI pour 163 inscrits; à Bonneville 2 600 électeurs pour 2 500 habitants !
Si la Savoie avait réellement voulu devenir française, de
telles mesures n'eurent pas été nécessaires. Mais cela n'était pas le cas: "actuellement,
l'état des choses semble le suivant : en général, il n'y a aucun désir de séparer la
Savoie du Piémont. Dans la partie la plus élevée du pays, Maurienne, Tarentaise et
Haute-Savoie [Albertville et Beaufortain], la population est résolument pour le statu
quo. En Genevois, Faucigny et Chablais, si jamais devait produire un changement,
l'annexion à la Suisse est préférée à toute autre solution" (F. ENGELS, Savoyen,
Nizza und die Rhein, Berlin, 1860). La défaite, en 1815, de Napoléon 1er était, en
ce qui concerne la Savoie, synonyme de libération : comment comprendre que 45 ans après
cette libération le peuple de Savoie se serait ainsi livré à la France? Au début de
l'année 1860, plus de 3 000 personnes manifestèrent à Chambéry contre les bruits
d'annexion à la France. Le 16 mars 1860, les provinces de la Savoie du Nord (Chablais,
Faucigny et Genevois) font parvenir à Victor-Emmanuel II, à Napoléon III et au Conseil
Fédéral une déclaration - envoyée sous la forme d'un manifeste et accompagnée de
pétitions - où elles disent ne pas devenir françaises et affirment leur préférence
pour la Suisse, au cas où une séparation avec le Piémont serait inévitable. Sur la
Savoie du Nord, le 15 avril, lors du plébiscite, avec 45 076 votants, aucun
bulletin 'Non' ne sera recueilli, alors qu'un mois auparavant, le 14 mars 1860, 11 266
signatures montraient qu'au moins 25 % de la population avait manifesté son souhait de ne
pas devenir française. Le royaume de Piémont-Sardaigne était une monarchie
parlementaire et sur les dix-huit députés, qui avaient été élus par le peuple
savoisien et le représentaient au parlement de Turin, seuls trois approuvèrent
l'annexion : 17 % contre 99,8 % lors du plébiscite !
Le référendum de 1860 est donc entaché de nullité :
Il n'a pas été démocratique : Pas de
bulletin NON, pas d'isoloirs dans les bureaux de votes, les syndics (maires) hostiles à
l'annexion révoqués et un personnel municipal nommé par les autorités françaises, une
occupation militaire française, la promesse du bagne de Cayenne, sans même un jugement,
pour tout opposant à l'annexion, cela en vertu des lois françaises qui étaient en
vigueur en Savoie alors que celle-ci n'était pas encore française, une fraude massive :
voilà comment la France obtint 99,8 % des suffrages exprimés lors du plébiscite qui
scella l'annexion de la Savoie !
Il n'a pas été ratifié par le parlement de Turin,
comme l'exigeait son article 7.
Par ailleurs, ce référendum n'a porté que sur un
seul choix pour la Savoie (être rattachée à la France où -dans le cas du 'NON'-
devenir Italienne), comme si aucune autre alternative n'existait. L'option qui consistait,
pour les Savoisiens, à rester réunis dans un Etat souverain n'a même pas été
proposée au peuple.