Thomas de Thonon (Province du Chablais, Savoie du Nord) est
lauteur dun Traité dhygiène en ancien français (1286).
Premier auteur dorigine savoisienne connu à ce jour, il est
aussi le premier, médecin et versifieur, à avoir rédigé directement en
français et en vers son poème scientifique.
Le manuscrit unique de la Bibliothèque Nationale
de France.
En 1896, Henri Omont signalait à la Société nationale
des antiquaires de France lacquisition par la Bibliothèque Nationale de France
dun manuscrit du XIVe siècle (Nouv. acq. fr. 6539) contenant quatre traités de
médecine [Bull. de la Soc. nat..., 1896, p. 222-224 ; 1900, p. 143].
Avant dentrer dans la collection du comte Eugenio Tegrimi-Minutoli de Lucques, ce
manuscrit copié en France avait appartenu à deux bourgeois de Paris dont
lex-libris se trouve au f. 89 v° : « Ce romanz est Piarre de Tongres, bourgiois de
Paris. Amen. Ce romanz est Phelippot de Tongres, bourgois de Paris ».
Le manuscrit est un recueil médical qui contient, dans
lordre, le Régime du corps dAldebrandin de Sienne, des Recettes
médicales en français et en latin, le Traité dhygiène composé en
1286 à Pontoise par Thomas de Thonon, en vers, enfin un autre Traité de médecine,
anonyme [H. Omont, BEC, t. LVII (1896), p. 340]. Pour la première
fois se trouvait cité le nom de Thomas [Le Bourguignon], natif de Thonon ; la mention de Bourguignon,
donnée abusivement dans certains ouvrages, doit aujourdhui être abandonnée.
Linformation était reprise en 1897 par Eugène
Ritter devant lAcadémie Chablaisienne [Mémoires & Documents...,
t. XII (1898), p. XII-XVIII] et en 1904 par Paul Meyer dans le Bulletin de la
Société des anciens textes français. [t. XXX (1904), p. 43-53]. Si les
communications soulignent bien lexistence du premier auteur dorigine
savoisienne connu, les analyses de luvre restent sommaires.
« Mestre Thomas, nez de Thonons ».
Lauteur qui parle ainsi de lui-même aux v.
55-56 :
Mestre Thomas, nez de Thonons,
Que len apele le Bourgaignons
est médecin [E. Wickersheimer, Dict. biogr. des
médecins en France au Moyen Age (nouv. éd. par G. Beaujouan), et Supplément (éd.
D. Jacquart, Genève, EPHE, IVe Section]. En 1286, il compose un traité
dhygiène en vers français quil adresse à labbesse et aux religieuses
de Maubuisson, près Pontoise, ainsi quà labbé de Saint-Martin de Pontoise,
un certain Leufroi. Saint-Martin de Pontoise est une abbaye bénédictine du diocèse de
Rouen, fondée au XIe siècle. Labbaye de Maubuisson, près Pontoise, connue aussi
sous le nom de Sainte-Marie-la-Royale, dans le diocèse de Paris, est un monastère de
femmes qui fut fondé en 1241 par la reine Blanche, mère de saint Louis.
Thomas de Thonon se retira plus tard à Dijon où il fut
lun des bienfaiteurs de labbaye de Saint-Etienne et mourut au plus tard en
1301.
Le médecin savoisien a donc quitté son pays natal pour
venir travailler en France, mais nous ne savons pas qui, à Pontoise, fut son protecteur.
A défaut de documents, et avec toutes les précautions dusage, il nous paraît
intéressant de constater néanmoins la relation de fait qui sétablit entre Thomas
et lascendance savoisienne de Marguerite de Provence, épouse de Louis IX ;
Marguerite de Provence est en effet la fille de Béatrix de Savoie, elle-même
dédicataire plausible du Régime du corps composé par le célèbre Aldebrandin de
Sienne en 1256.
Après déventuels liens de sympathie entre des
personnes originaires dune même région, un lieu, Pontoise, où Marguerite de
Provence et saint Louis firent de longs séjours. Le bon accueil quon y réserva à
Thomas de Thonon dans les années 1280 est-il à mettre en relation avec une influence
directe ou indirecte de Marguerite de Provence (+ 1295) ou pour le moins avec les
souvenirs que lon avait gardés du couple royal ? Pures coïncidences ou relations
réellement fondées, seule la mise au jour de documents pourrait confirmer ou infirmer de
telles hypothèses.
Son Traité dhygiène
Ce texte de 800 vers copiés sur deux colonnes remplit six
feuillets et les trois quarts dun septième (du f. 99 r° au f. 105 v°). Si
lécriture cursive du XIVe s. en est soignée, on décèle néanmoins trois mains
(v. 1-183, v. 184-332, v. 333-fin) qui ont copié assez négligemment le texte puisque
cinq vers au moins ont été sautés (v. 34, 134, 182, 588 et 560).
Comble de malchance, ce manuscrit unique voit sept de ses
colonnes sur les vingt-sept au total malheureusement endommagées par le relieur qui a
trop rogné les feuillets. Il faut alors rétablir par conjecture les manques occasionnés
à la fin des vers de la seconde colonne au recto ou au début des vers de la première au
verso.
Comme le remarquait déjà Paul Meyer, le « petitet
densaignement » (v. 10) proposé par lauteur na pas de titre proprement
dit. Il suggérait alors celui de Traité dhygiène comme répondant le mieux
à la matière du traité. Il nous paraît judicieux de conserver ce titre.
- Le plan de luvre
La première partie du poème (v. 1-206) comprend
lintroduction (v. 1-70), la description des quatre éléments (v. 71-136), enfin la
théorie des quatre humeurs (v. 137-206).
La seconde partie (v. 207-fin) traite des quatre saisons
et du régime à suivre selon son âge ; la saignée tient une place importante dans la
prévention comme dans les soins. Une conclusion très rapide de quatre vers clôt le Traité
(v. 797-800).
Si nous faisons un compte exact des vers, nous remarquons
que ces deux parties représentent respectivement un quart et trois quarts de la matière,
le premier quart étant lui-même subdivisé en trois parties quasi égales : 70 vers, 66
vers et 70 vers. Dans la deuxième partie, il est vrai, cette régularité nest pas
observée : après une présentation de 82 vers, le printemps et lété comptent
respectivement 199 et 249 vers, les parties réservées à lautomne et à
lhiver nayant plus droit quà 24 et 36 vers.
Il nen restepas moins vrai que
la matière est ainsi traitée selon un plan plus structuré quon ne la dit.
- Les sources de luvre
Il est nécessaire de rappeler ici très brièvement les
données essentielles des théories qui ont nourri les médecines antique et médiévale.
Daprès Aristote, les quatre éléments, air, feu,
terre et eau sont actualisés par leffet des quatre qualités, froid, chaud, sec et
humide qui se rencontrent par couple. Les quatre éléments ainsi caractérisés
produisent les quatre humeurs principales de lorganisme : le sang, la bile jaune, la
bile noire et le phlegme. Nous obtenons ainsi les séries de correspondances qui
structurent luvre :
Air (chaud-humide) - Printemps - Sang.
Feu (chaud-sec) - Eté - Bile jaune (cole).
Terre (froid-sec) - Automne - Bile noire ou Atrabile (melancolie).
Eau (froid-humide) - Hiver - Phlegme ou Pituite (fleume).
La théorie des quatre tempéraments, ébauchée dans le
traité attribué aujourdhui à Polybe (disciple et gendre dHippocrate, IVe s.
av. J. C.) De la nature de lhomme sera ensuite formulée par Galien (131-201)
qui fit la synthèse des acquisitions médicales de lAntiquité : selon que
lune des quatre humeurs prédomine, le caractère de lhomme sera sanguin,
colérique, mélancolique ou phlegmatique. Les maladies résulteront dune dyscrasie
entre les quatre humeurs.
Lexamen de lhomme dans son unité individuelle
replacée dans le temps (les quatre saisons) et dans lespace (les airs, les eaux,
les lieux... ), lintégration de la santé et de la maladie dans le système des
phénomènes naturels jettent les premières bases scientifiques de ce que nous appelons
« lhygiène » [Histoire générale des sciences, Paris, 1957, t. 1, Des
origines à 1450 ; Histoire de la pensée médicale en Occident.1. Antiquité et
Moyen Age, sous la dir. de M. Grmek avec la collab. de B. Fantini, Seuil, 1995].
Dès lintroduction de notre Traité sont
cités, dans lordre, Hippocrate, Galien, Avicenne, Isaac lHébreu, Rhazès et
Constantin lAfricain, mais ce sont ensuite les noms dHippocrate et de Galien
qui reviennent le plus souvent. Rhazès (env. 85O-925), Isaac lHébreu (vers
850-932) et Avicenne (980-1037) sont parmi les figures les plus marquantes de
lécole judéo-arabe qui assura la transmission de lhéritage gréco-latin.
Constantin lAfricain (1015-1087) assura lapogée de lEcole de Salerne au
XIIe s. en traduisant les livres des médecins arabes et en particulier les Pantegni
de Ali Abbas.
- Le Traité de Thomas et la
vulgarisation scientifique au XIIIe s.
Nous avons déjà cité Aldebrandin de Sienne et son Régime
du corps (1256). Sil nest pas possible de mettre sur le même plan cette
uvre célèbre et le Traité dhygiène de notre auteur (1286), ils font
néanmoins tous les deux partie du grand mouvement de vulgarisation scientifique qui se
développe dès la première moitié du XIIIe siècle. Leur destin ayant été très
différent, il nous paraît important de les comparer ici, même succinctement.
A partir des traductions latines des auteurs arabes,
Aldebrandin de Sienne rédige une compilation personnelle divisée en quatre
parties : hygiène générale, soins aux organes particuliers, diététique et
physiognomonie. Il est ainsi doublement novateur : en écrivant directement son uvre
dans une langue vernaculaire, ici le français, il opère une rupture davec la
tradition et lemploi usuel du latin dans le monde médical ; en composant un traité
au sujet bien cerné, lhygiène, il quitte le terrain des grandes compilations
propres au Moyen Age, telle, par exemple, le Secret des secrets du Pseudo-Aristote
qui comprenait, à lorigine, quatre sections : traité de morale, traité
dastrologie, de philosophie naturelle et de politique, traité de physiognomonie.
Thomas de Thonon, tout en suivant une structure générale
commune à lépoque en cette matière (quatre éléments, quatre humeurs, quatre
saisons) développe lui aussi, en français, des descriptions et des prescriptions
relatives à lhygiène, mais elles sont moins riches et détaillées que dans le Régime
du corps. Il est en revanche sûr que Thomas a voulu faire preuve dune certaine
originalité en donnant à son uvre la forme dun poème didactique.
Le succès du Regimen sanitatis Salernitanum, ou LArt
de conserver sa santé, code versifié attribué à Jean de Milan élève de
Constantin lAfricain, est peut-être à lorigine de cette tentative. Dans
cette perspective, lauteur a-t-il vraiment pensé que la forme du poème en vers
octosyllabes aux rimes plates pouvait être le gage dune bonne réception et, par
là, dune plus grande diffusion ? Si nous en jugeons par le seul témoin conservé,
luvre na effectivement pas eu le succès escompté.
Toutefois, en prenant à la lettre les propos de la
dédicace, une autre explication nest pas à écarter a priori : dans
lesprit même de lauteur, le petit traité versifié nétait peut-être
bien quune uvre de circonstance, un simple cadeau de remerciement offert à
des cercles restreints où lauteur avait été bien accueilli. Médecin, il
participe à la diffusion de théories médicales en vogue tout en essayant de leur
imprimer une modeste marque personnelle.
Quoi quil en soit, il est intéressant de souligner
que cet unique témoin na pas pour autant été négligé puisque dès
lorigine il est entré dans la composition dun recueil médical aux côtés du
célèbre Régime du corps dAldebrandin de Sienne.
Thomas de Thonon, premier auteur dorigine
savoisienne.
Pedro Gil Sotres, dans son étude intitulée « Les
régimes de santé » [dans louvrage déjà cité Histoire de la pensée
médicale en Occident. 1... (p. 257-281)], dit que cest à partir de la
seconde moitié du XIVe s. que lon commence à traduire du latin ou à rédiger
directement en langue vulgaire, en prose ou en vers, les régimes de santé. Néanmoins,« du point de vue de la chronologie, la première période, celle de la naissance
de ce genre littéraire, correspond à la seconde moitié du XIIIe s. Les exemples les
plus significatifs sont les deux régimes, très différents lun de lautre, de
Jean de Toleto et dAldebrandin ». Le poème didactique de Thomas est bien à ce
jour et à notre connaissance, à linstar du Régime en prose
dAldebrandin, le premier texte du genre rédigé, lui, directement en français et
en vers dans laire française.
Luvre de Thomas de Thonon devance de plus de
cinquante ans la naissance du poète lyrique Oton de Grandson (1340/1350-1397) dont
luvre appartient aujourdhui au domaine roman helvétique. Elle devance
aussi de plus dun siècle lépître lacunaire dAmédée Malingre,
maître dhôtel du prince Louis de Savoie, qui composa son texte au début du XVe s.
La carrière et luvre du premier auteur dorigine savoisienne connu ne
relèvent pas de la chronique locale ou même régionale, ne serait-ce que parce
quil écrivit en français dans la région parisienne. Dans lattente
dhypothétiques documents nouveaux qui permettraient de mieux cerner le destin de
notre auteur, les faits connus soulignent déjà la force dattraction du pouvoir
royal français et de sa langue auprès des personnes originaires de la périphérie.
Si cette mise en vers dune matière commune à toute
une époque manifeste bien une volonté délibérée de lauteur deffectuer un
certain travail sur la langue et sa forme avec les risques de réussite ou déchec
que toute tentative suppose, il est non moins certain que le résultat est modeste
dun point de vue strictement littéraire, en admettant toutefois quil soit
possible ou même tout simplement juste de juger ce texte médical à laune des plus
grandes réussites littéraires. De fait, cest dabord sous langle de la
littérature médicale quil faut juger ce poème didactique où la versification
sert plus la mnémonique que la poésie. Pour autant, certains passages ne manquent ni de
charme ni de cette fraîcheur quon aurait qualifiée autrefois de
« naïve » quand, au-delà du contenu médical, certains vers nous laissent
entrevoir dans de trop fugitives évocations la vie quotidienne des hommes
et des femmes du XIIIe siècle.
Témoignage de lattraction de la langue française,
exemple de ladaptation en vers et de la diffusion de théories médicales en vogue,
nouvelle source de dépouillement et de recherches pour les philologues et les historiens
- en particulier sous langle de la formation et de la composition des recueils
médicaux - Thomas de Thonon na pas le seul mérite de son ancienneté au regard de
son pays dorigine pour mériter enfin dêtre édité.
A la découverte de l'oeuvre traduite
pour la première fois en français moderne
Première partie : introduction : vers 1 - 70 ; les
quatre éléments : vers 71 - 136 ; les quatre humeurs : vers 137 - 206.
[Introduction, v. 1-70]
Celui qui fit à sa façon le monde entier alentour de
nous, quil maccorde daborder ce sujet et de le mener à bonne fin en
lhonneur et au profit de toute la communauté des clercs et des laïcs de Pontoise
où longtemps jai été heureux.
Je voudrais leur donner en peu de mots quelques conseils
extraits de la racine de nos plus anciens traités, ceux dHippocrate et de Galien,
et des autres - selon moi - Avicenne, Isaac, Razis. Je noublie pas là Constantin
car il fut plein dun grand savoir, moine pieux et désireux de servir Dieu.
Sur tous ceux dont je viens de parler, vous le comprenez,
je désire asseoir au mieux ma réflexion, ainsi que vous lentendrez. Et sil
existe une âme généreuse, je prie Dieu quelle ne cherche point la faille pour me
blâmer. Je ne prie pas les envieux car ce serait une très grande folie : ils se
moqueraient de ma prière, au contraire ils reprendraient plus encore ce que je dis, car
ce quils aiment [à faire] leur plaît [trop bien]. Mais si jétais attaqué
par eux, jen serais très flatté, car pour moi leur blâme vaut une belle louange,
par saint Denis.
Mais ce nest pas là mon but ; je veux revenir dans
le sentier où jai lintention décrire ce livre simple dont
bénéficiera le lecteur attentif. Je ne doute pas que personne ne pourra en si peu de
temps écrire un ouvrage scientifique quil ny ait beaucoup à redire, mais ce
nest quun avis et un petit aperçu : comment, à chaque saison, doit-on
correctement et raisonnablement prendre soin de son corps de sorte quil ne soit
atteint daucune maladie.
Moi, Maître Thomas, natif de Thonon, que lon
appelle Le Bourguignon, en lan de Dieu 1286, jai composé ce livre au profit
et en lhonneur des dames de Maubuisson et du seigneur de Saint-Martin. Jai
maintes fois tiré un grand avantage dêtre un familier de leur maison. Je leur ai
donc écrit ce livre ; il sera utile à qui le voudra bien étudier. Le philosophe nous
dit ainsi que cest par lui que lon goûte au bien quand est mise en ordre son
excellente matière.
[Les quatre éléments, v. 71-136]
Au nom de Dieu le roi de gloire qui me donnera - je
lespère - mémoire, jugement et connaissances, je vais vous enseigner comment
préserver sa santé et guérir ses maladies.
Quand Dieu aux vues toutes puissantes forma la voûte
céleste, il fit le soleil et la lune et munit de sa nature tout ce qui fut créé sous la
lune. Je dois commencer par eux et distinguer leurs propriétés.
Il établit sous les cieux, tout à fait au-dessous de la
lune, quatre éléments dont la nature est la suivante. Veux-tu savoir ce quest un
élément ? Constantin dit, comme je le pense, que cest le plus simple et le plus
petit composant du corps humain qui en contient quatre. En voici les noms, sans mentir :
le feu, leau, lair et la terre. Entre ces quatre éléments il ny a
point de conflit. Le feu est sec et chaud, là-haut près de la lune ; après vient
lair, me semble-t-il, humide et chaud ; ils ont ainsi entre eux une affinité.
Leau froide et humide vient ensuite et, côte à côte, en vérité, la terre qui
est froide et sèche, le plus pesant de tous les éléments. Chacun en lieu et ordre
exactement comme sut bien faire Celui qui fournit à tous une place.
Sans balancer, les êtres vivants dans
leur niche sont à leur image, mais chacun directement selon sa nature. Tu dois savoir
avec certitude quune même quantité de froid, de sec, dhumide et de chaud ne
se trouve pas dans les hommes et les chevaux, dans les oiseaux comme dans les arbres : les
uns sont pesants, les autres légers. Si les corps engendrés à partir deux en
avaient eu une quantité égale, tous les êtres sans aucun doute eussent eu le même
aspect, la même qualité. Hippocrate nous montre dans un livre intitulé De la nature
de lhomme que si le chaud, comme il dit, nétait pas tempéré par le
froid, le corps en serait vite perturbé. De même pour le froid, lhumide [...]. En
effet, si la chaleur sélève là plus quelle ne doit, rien ne va plus.
[Les quatre humeurs, v. 137-206]
Je ne dirai plus rien des éléments ; je vais maintenant
parler des quatre humeurs et ensuite de la complexion de lhomme selon ses principes.
Je lai décrite daprès ce que dit Constantin ; elle nest pas un
assemblage ni un simple mélange par nature des quatre éléments : chaque corps a son
dû.
Voici les quatre humeurs, surs de la complexion ;
elles létablissent et la gouvernent. On les dit filles des éléments parce
quelles leur ressemblent, Hippocrate comme Galien en témoignent. Je texpose
les noms des humeurs et leurs propriétés : il sagit du sang, du phlegme, de la
bile noire et de la bile jaune, que je noublie pas.
La bile jaune est chaude et sèche, elle tire du feu son
caractère et beaucoup dhommes en portent la marque ; il y en a certainement moins
dans le corps que du phlegme ou du sang car ce serait une catastrophe sil y en avait
autant ; elle bouleverserait en effet tous les corps et reviendrait à sa nature.
Cest pourquoi, selon son mystère, elle ne prend le pas sur aucune résolument.
Le sang, en vérité, est chaud et humide comme il se doit
: sa nature provient de lair, ilne manque vraiment pas au corps,
étant au contraire à égalité avec les autres. Il nourrit [...] et soutient le corps.
[Hippocrate] nous dit quil est [le soutien] de lâme car dans les membres se
répand la force de lâme avec le sang, unis quils sont tous les deux [...].
Le phlegme est froid et humide [...], il tire sa qualité
de leau [...].
Je dirai en toute bonne foi que la bile noire est froide
et sèche ; la terre lui procure sa substance, il ne faut point en douter. Mais de la
terre le corps tire peu dhumeurs, cest pourquoi il nen bénéficie pas
dune autre. Sans ces quatre humeurs, le corps ne peut exister ni vivre, il se tient
debout en sappuyant sur elles comme sur les quatre éléments, chacune usant de ses
facultés conformes à Nature.
Seconde partie : les quatre saisons : vers 207 - 288 ;
le régime à suivre selon son âge à chaque période de lannée : le
printemps : vers 289 - 487 ; lété : vers 488 - 736 ; lautomne : vers 737 -
760 ; lhiver, la conclusion : vers 761 - 800.
[Les quatre saisons, v. 207-288]
Vous mavez entendu au sujet des quatre humeurs ;
vous connaissez leurs qualités et comment elles sont nécessaires au corps qui vaut bien
peu sans elles. Jen arrive aux quatre périodes de lannée, je dirai leurs
caractères et à quel moment elles débutent.
Pour ma part, je suis Galien, Hippocrate et tel ancien qui
savamment les décrivent, et, possédant lastronomie, parlent de leur commencement,
dans lordre et sanshésitation : ils disent que ces quatre
périodes sont divisées par le soleil, comme nous pouvons le voir. De même que vous
saurez la nature de chacune, comment le chaud et le froid les troublent plus quil ne
faut, tu apprendras ici comment te préserver du mal quelles pourraient te faire.
Jénumère les quatre périodes : lhiver, le printemps, lété et
lautomne que je noublie pas car il fait partie de lannée.
Jaborderai dabord le printemps, en toute
sincérité : il est naturellement chaud et humide comme certains le décrivent car la
composition de lannée entière doit être dun caractère on ne peut plus
ordonné et modéré. Le printemps commence, parce que telle est sa propriété, le
dix-septième jour de mars et dure jusquau dix-huitième jour de [juin], début de
lété, qui est en vérité chaud et sec, nous le voyons clairement. Il finit à
juste titre le dix-huitième jour de septembre, début de lautomne, car cest
en ce jour que le soleil pénètre pour la première fois dans la Balance. Je le dis
franchement : il doit être froid, cest sa nature ; je crois quil prend
ce froid de lhiver, et de lété son autre qualité. Il se termine le
quinzième jour de décembre. Lhiver commence en prenant ses quartiers ; il est bien
froid et humide comme les auteurs le montrent avec certitude ; il finit le quinzième jour
de mars, au plus tard le seizième.
Chaque période, sans artifice, dispose de trois mois et
de trois signes, et quand le soleil naît, soit haut, soit bas, comme il le doit, par ces
signes dont je parle il fait venir lhiver ou lété. Le début et la fin
dune période ne sont point en harmonie car une autre après elle commence en
imitant la fin de la précédente, ainsi le début de lune ressemble-t-il à la fin
de lautre. Si chacune des quatre, à ce quil me semble, a trois caractères,
ce qui est sincèrement la vérité, chacune doit avoir par Nature ce qui convient à sa
nature. Je vais en parler daprès ce que jen sais.
[Le printemps, v. 289-487]
En premier lieu voici le printemps qui est une belle et
avenante saison ; sa nature est tempérée et elle ne doit pas être perturbée ni par le
chaud ni par le froid. Et sil advient au contraire quelle se départe de sa
nature ou par le chaud ou par le froid, vous verrez venir en hiver diverses maladies. Au
printemps il doit pleuvoir quelquefois, au moins tous les quinze jours, si tout va bien.
En cette première période il convient de vivre avec sagesse ; examine convenablement ses
caractères et vois son comportement. Hippocrate dit, lui le plus perspicace, que seule
parmi les quatre autres, elle nest pas troublée par la chaleur, les grandes pluies
ou le froid ; il ajoute sans restrictions que la chaleur te procure un grand plaisir. Si
tu ne sais y prendre garde pour ce qui te concerne, il convient donc te tinstruire.
Sois donc attentif, sil te plaît, à ce qui suit, sans dispute ni discussion.
Garde toi dêtre troublé au point de prendre ton
repas sans rigueur ni raison comme lincite la période, et de tomber malade pour
quelque motif. Si tu veux bien, tu peux te défendre et je vais te dire aussitôt comment
: mange ton pain de froment ni trop dur ni trop chaud, mieux vaut quil soit fait
depuis un jour ou deux ; le dur est dur à digérer et le chaud est trop mou. Le vin que
tu boiras est bon, tu en prendras avec mesure.
Tu dois consommer moins daliments quen hiver,
ne passe pas outre. Que viennent souvent en ton assiette gras poussins et jeune chevreau,
mouton et gras veau rôti. Tu peux manger, sans interdiction, du bon porc et de jeunes
oisons. Si tu as besoin de potions, de saignées et de purges, sache que cest le bon
moment. Le carême arrive, il faut avec raison jeûner et prendre librement tout ce qui
convient au carême : que la purée et le gruau soient tes premiers plaisirs ; la limande,
le rouget ou le bon grondin, la morue ou lexcellent maquereau, ne les refuse pas du
tout sils te plaisent. Je demande que taccompagnent perches, barbeaux, truites
et brochets - quils te soient agréables ; que des esturgeons et de jeunes saumons
remplacent les venaisons. Quen cette période figues, dattes et raisins soient à ta
portée, que soient près de toi confiture de gingembre et autre bonne friandise. Celui
qui ne pourrait avoir tout cela choisirait dautres produits.
Que chacun sen tienne directement à ce quil
fait dhabitude, mais quil sache bien se modérer selon ce quil possède.
Les petites gens peuvent manger des fèves et des pois sans difficulté car tout leur est
bon, ce ne sont pas des paroles en lair. Après le carême la fête de Pâques
arrive, que viennent de nouveaux aliments. Fais attention de vivre raisonnablement à
cause du changement, de sorte que la nature ne soit point accablée par ce nouvel ensemble
de nourritures inconnues delle. Car je te le dis absolument, si tu ne sais y prendre
garde pour ce qui te concerne, tu peux en attendre un grand dommage ; loccasion est
belle, en voici les raisons.
La première est que tu ne manges pas à lheure où,
à Pâques, tu dois le faire, je le crois bien. Tais-toi et écoute quelle est la seconde
: la nouvelle charge daliments venant au-dessus de lautre te porte un grand
préjudice. Et veux-tu donc savoir en quoi, je te le montre ouvertement : quand le matin
tu as mangé, je parle clair, nentasse pas de nouveaux aliments tant que les
premiers ne sont pas descendus hors de ton estomac, tant que tu nas pas fait place
nette pour les seconds. Quils ne sen plaignent pas : si ton estomac
nétait pas vidé des aliments dont il était plein, et si tu en lançais
dautres par-dessus, il vaudrait mieux que tu te fusses percé le corps avec une
lance.
Je crois bien quil tarrivera un grand malheur
etje te dis maintenant pourquoi : la nourriture cuite commençait
déjà à descendre ; il faut que la nourriture crue descende avec elle car elle trouve
libre la sortie que Nature avait déjà ouverte. Qui ne connaît la catastrophe que
lon prévoit, les deux une fois réunies ? Les membres du corps protestent après
elle car ils veulent avoir leur part de la nourriture qui est au-dessus. Elle donne à
chacun sa part de la nourriture crue du haut, ce qui estune grande
folie. Les membres en sont stupéfaits, ils en veulent à Nature avec les transports de
vapeurs issus dune telle nourriture réchauffée. Des fièvres quartes et tierces
persistantes naissent ainsi que dautres fièvres aiguës, lhydropisie et la
lèpre arrivent ou une autre maladie ; ainsi, à bon droit et raisonnablement, ne jette
pas hors de leur maison avant le terme échu celui qui devait y habiter.
Si le printemps est perturbé par des gelées ou des
pluies, reste chez toi près dun feu de charbon : cest le plus sain de tous
les feux, comme Galien en témoigne. Si tu ne peux en bénéficier, fais-le aussitôt avec
du bois bien sec de sorte quil ne fume pas. Les pluies amènent lhumidité qui
gâtent la chaleur du feu, le fait est prouvé. Si vient le froid ou la gelée, je te prie
de prendre une plus grosse part de nourriture que lorsquil pleut. La gelée fige le
corps, que la chaleur ne sen échappe pas. Dans une telle période tu vivras au
chaud, fais-y attention quand elle apparaîtra. Sois prompt à te vêtir de chauds habits.
Les matinées comme les soirées sont froides ; si pendant la journée il fait plus chaud,
le matin et le soir ne te réjouissent pas. Ils pourront te mener à la tombe si tu ne
sais ten préserver. Avant de te mettre à table, tu dois travailler un peu, autant
que tu voudras, et ensuite va te reposer avant de déjeuner - agis ainsi sans balancer.
Le premier jour du printemps, fais-toi saigner au bras
droit. En aucune façon nhésite pas à faire de même au bras gauche et au
cur le dix-septième jour de mars et le onzième jour davril. Quels que soient
lejour et la lune au moment de la saignée, elle est très bonne et
aussi longtemps que tu lappliqueras, tu en tireras toujours profit. Pour finir,
fais-toi saigner au mois de mai, avec raison, le quatrième ou le cinquième jour ; après
la troisième heure tu y gagneras si tu la fais ainsi au bras droit. Sache que de toute
lannée tu nauras pas daccès de fièvre dont tu puisses être très
malade ; fais-le quel que soit le jour. Je ne te dirai rien de la diète relative à
la saignée car jen parlerai ailleurs.
[Lété, v. 488-736]
Jaborderai maintenant lété, quand il doit
commencer à juste titre le dix-huitième jour de juin. Le soleil qui élève peu à peu
la température revient en ce jour ; il nest pas mortel directement et il tire la
chaleur des corps ainsi que la sève en quantité excessive. Il en résulte des maladies
car la chaleur du corps qui devait digérer tout ce quil recevait est amoindrie.
Je tengage donc à vivre avec sagesse en été : le
matin, quand tu te lèveras, étends bien tes bras et tes jambes, si tu men crois.
Peigne ensuite tes cheveux, ce ne sera pas difficile. Tu laveras, sans languir, ton visage
et tes mains. Aristote le dit en un Secret : lété, une belle eau froide de
fontaine est très bonne. Tant que dure la chaleur, tu en prendras, je te lassure,
par deux fois ta paume bien pleine : elle vaut alors mieux que nimporte quel
remède. Elle adoucit lestomac en étant très efficace contre la bile jaune quand
lété a lhabitude de laccroître.
Va ensuite te distraire, à pied ou à cheval. Prends
garde de ne pas téchauffer mais retourne en ton logis jonché de beaux joncs
arrosés deau de source tous les jours de la semaine. Mets alors la table : laitues
du jardin avec du vinaigre [...] dabord [...], du pain de froment [...] et un gras
chapon. Pendant cette période sont très bons pour toi [...] les jeunes poulets, les
beaux agneaux [...] les veaux bien nourris [...], tu peux en manger [...]. Avicenne dit
quen raison de la grande chaleur de lété, la viande du porc est la meilleure
parce quelle est la plus froide, je vous en parle à bon escient. Les pieds de porc,
et avec eux, le groin, sont très bons.
Coupe le vin que tu prendras ; tu en boiras modérément
pour ne pas être ivre car il nuit à ton corps. Le vin qui est bu avec modération
réjouit tous les membres et augmente purement les facultés des cinq sens comme celles du
corps. Mais sil est pris en trop grande quantité, il détruit le corps : vous le
voyez chez ces buveurs [...] qui ont les membres tout tremblants [...].
Que le fromage frais et le lait ne soient pas ensemble sur
la table. Ceux qui ont la gale ou une sécheresse de la bile boiront du petit lait le
matin, pour eux il est sain et bon; que le lait pur
soit pour les petits enfants. Galien défend de consommer du fromage frais et du lait
trait de vieilles bêtes ; mais prenez celui qui est bien salé et déjà bien affiné
avec le lait non écrémé dont il est fait, Galien montre quil est le plus sain de
tous. En cette saison, les poissons deau douce sont meilleurs que ceux de la mer.
Mangez le moins que vous pourrez, en été, des ufs frais à la poêle, dabord
pour leur effet laxatif, ensuite parce quils sont indigestes.
Si tu as besoin de te saigner, tu peux le faire sûrement
le premier mois de lété mais pas au-delà. A quelle période de la lune tu peux te
saigner, je te le dirai si tu veux lentendre. Je tapprendrai ici le bon moment
: tu dois savoir premièrement que si tu as effectué un gros travail, si tu as beaucoup
bu, beaucoup étudié, si tu as veillé tard également ou si tu as couché avec une
femme, la saignée test défendue à moins que tu nen aies un très grand
besoin. Quand survient une angine ou un abcès quelconque, on doit se saigner
immédiatement quelle que soit la période ou la lune, dans ce cas là, la saignée est
bonne. Je te défends de saigner les vieillards ainsi que les enfants.
Fais attention que lair soit pur et clair à
lheure où tu dois te saigner ; lair trouble comme lair obscur sont
défendus pour la saignée. Celui qui incise la veine doit avoir une bonne vue pour
quil ne prenne pas lartère pour la veine. Quil sache éviter les nerfs
afin que lon ne soit pas blessé par la lancette. Celle dont vous devez vous servir
doit être bien mince et propre ; elle ne doit pas être très pointue ni touchée par la
rouille ni très épaisse, mais un peu large au bout et bien coupante. Le saigneur doit
connaître la maison de celui qui doit être saigné afin dêtre en plein jour pour
reconnaître la veine. Si tu ne peux la reconnaître, lave deau chaude
lendroit du bras où tu dois te saigner ; frotte alors sans attendre, je crois que
tu verras la veine. Fais-le sans difficulté. Que la plaie soit un peu large, la saignée
en sera meilleure car les vapeurs, le gros sang, sortent plus franchement. La plaie
étroite produit le contraire, celui qui est saigné y gagne peu : le gros sang reste dans
son corps et le léger sen va au-dessus. Tu dois inciser la veine en long ; si la
personne est corpulente tu dois lier son bras avec fermeté, si elle est maigre,
dune manière plus lâche.
Quelle que soit la saison, six jours sont contre-indiqués
dans chaque lunaison : le cinquième, ledixième, le quinzième, le
vingtième, le vingt-cinquième ainsi que le trentième ; tu peux te saigner les autres
jours. Au cours de lannée, trois jours sont défendus ; qui se fait saigner
lun de ces jours tombe dans un grand péril. Connais bien ici le danger : il
sagit du premier jour daoût et du dernier jour de décembre ; le troisième
frappé dinterdiction est le quatorzième jour du mois davril. Encore quelques
mots sur la lune : quand elle est très jeune, elle nest pas favorable. La lune a
ainsi quatre phases ; les jeunes hommes dabord sont troublés dans la période
intermédiaire et les vieillards à la fin.
Celui qui désire prendre bien soin de sa complexion
correctement et raisonnablement doit se saigner à une époque qui corresponde à sa
nature. Les jeunes hommes, sans interdiction, doivent se saigner au printemps car leurs
constitutions sont semblables. Mais leur sang croît, ce nest pas une fable, le
temps que vienne la chaleur de lété qui est néfaste aux jeunes personnes. A cette
époque la saignée leur est nécessaire, après la troisième heure ainsi quil le
faut : la période et lheure tout ensemble ressemblent à leur complexion. Que se
fassent saigner en automne tous ceux qui dépassent la cinquantaine. Mais ces personnes se
feront saigner en hiver si leur nature le demande et sils croient quils en ont
besoin. La saignée doit toujours avoir lieu pendant que ton sang change son état.
Je veux te faire part ici du régime que tu dois suivre :
tu mangeras peu le premier jour, tu pourras boire beaucoup plus, avec sens et modération,
afin de ne pas nuire à ta nature. Tu dois te garder daller au lit avec ta femme et,
dans la chambre où tu seras, tu fermeras toutes les fenêtres de telle façon quil
y ait moins de lumière, ni grand chaud, ni grand froid ; la saignée naime guère
cela. Les études ne lui conviennent pas ; celui qui est saigné, avec raison, doit se
reposer de tout travail. Il doit sallonger dans un bon lit et ne prendre aucune
nourriture aussi longtemps que le sang dont il était affecté ne sest pas reposé
dans les veines.
Toi qui te feras saigner, tu mangeras dabord des
ufs mollets avec du pain de froment blanc, tu boiras du bon vin blanc doux de
sarment net, clair et sain, le vin blanc fromentel nest pas moins bon ; le porc
châtré ou le mouton, les perdrix, les poules ou les chapons, les faisans et les
chevreaux sont excellents. Toute autre chair danimal dans la période du rut,
quil soit élevé ou chassé, test défendue. Aucun fromage. Pas de friture ni
de rôtis pour toi qui est saigné au bras. Que soient exclus les poires, les pommes, tous
les fruits. Tu laisseras aux chevaux lavoine car je crois quelle ne te
convient pas. Les riches peuvent manger truites, brochets, perches, barbeaux, gardons,
vandoises et rougets. Les pauvres shabitueront à moins ; rien ne leur est interdit,
quils mangent tout sans contre-indication. Les auteurs commandent de garder ce
régime pendant trois jours, à ce quil me semble ; Galien est contre un quatrième
jour, Hippocrate, un cinquième. Pas de bain le sixième jour ni dexercices le
septième. Mais le huitième, tu pourras faire ce que tu veux.
[Lautomne, v. 737-760]
Après lété, lautomne commence le
dix-huitième jour de septembre. Le soleil entre alors pour la première fois dans la
Balance : les jours et les nuits sont égaux. Veille à ne pas te créer des problèmes
dalimentation pour commencer, car tu dois vraiment savoir que son début ressemble
à la fin de lété : ils ont ensemble une grande affinité. Tu vivras comme en
été tant que tu seras près de sa fin. Tu pourras alors manger librement tout ce que te
sert ta table. Les figues sont bonnes ; pendant cette période, mangez du raisin le matin,
les autres fruits sont mauvais et causent beaucoup de préjudices aux personnes. A cette
époque, prends des bains froids et chauds et donne-toi de la peine. Ne prends pas de
bains froids le dernier mois de lautomne ; tu te feras saigner au foie ou tu
prendras un bain chaud quand tu voudras.
[Lhiver, la conclusion, v. 761-800]
Le seizième jour de décembre, lhiver commence en
prenant ses quartiers. Le soleil amorce réellement sa montée et entre à ce moment dans
le signe du Capricorne. Pendant toute cette saison, tu dois avoir une maison bien
chauffée et remplir ton ventre le soir plus que le matin, nen doute pas. Après la
neuvième heure, va te divertir, te donner de la peine et téchauffer le temps que
ton estomac se vide du repas quil avait pris. Le soir, tu dois manger plus parce que
les nuits sont longues. Il te convient de faire toujours le contraire de ce que tu faisais
en été, tu peux sans erreur manger de tout plus sûrement en hiver quen une autre
saison. Se faire saigner au début de lhiver et autour de janvier est mauvais. En
janvier tu te feras saigner au cur, sans hésiter absolument. En hiver lave-toi les
mains à leau chaude matin et soir ; elle soulage beaucoup les nerfs, les humeurs,
et elle est très bonne en en prenant deux fois, à jeun, une pleine paume. Elle agit
aussi bien quun remède sur lestomac pour le soigner et ôter toute douleur.
Il me semble quelle est efficace pour ceux qui ont les membres faibles et
tremblants.
Qui écoute ces conseils et sagement les suit, je doute
quil puisse un jour tomber malade.
Pour les courageux ou les spécialistes (ou les deux à la fois) désireux
de lire l'édition du texte en ancien français
Lire lédition du texte en ancien français
du Traité dhygiène de Thomas de Thonon.
Le Traité dhygiène en ancien français de
Thomas de Thonon a été publié par nos soins pour la première fois, sans la traduction,
dans la revue Romania : recueil trimestriel consacré à létude des
langues et littératures romanes , t. 112, 1991 [1994], p. 450-487 [Romania,
19, rue de la Sorbonne, 75005 Paris]. Nous invitons les personnes intéressées à
sy reporter.
Sur les 200 vers octosyllabes plus ou moins gravement
mutilés au début (vers de la première colonne au verso des feuillets), 150 avaient pu
être rétablis par conjecture. Lapprofondissement de notre connaissance du texte
nous permet aujourdhui davancer 32 nouvelles hypothèses de sorte quil
ne reste plus que 18 vers lacunaires (sur 800). Les réfections à ajouter à la première
édition imprimée du texte en ancien français sont les suivantes :
V. 69-70 : [Quant] sont tramis est devisez/[Et]
esjoïssable asez. V. 81-83 : [A t]oute creature estraite/ [Qui] de desouz la lune est
faite./[D]eux mestuet primes parler. V. 177-178 : [Ypocras n]ous ensaigne et
dit/[Que celui] de lame est en lui. V. 305-306 : [Rega]rde sa nature a
droit,/[Voies] tout ce que fere doit. V. 309 : [Non] destemprez est par chaleur. V. 312 :
[Chal]eur grant musement te livre. V. 316-319 : [Et] ne fé ne noise ne plet/[Car] ce tens
est tout aprez./[Gar]de ne soïez destemprez/[A pr]endre ta refection. V. 415 : [Que
l]en atent mes tuit ensemble ? . V. 420-424 : [Le c]ru de aut, cest grant
folie./[Les] membres en sont esbahy/[Dont N]ature en ont enhahy/[Et] li font une grant
fumee/[De] tel vïande reschaufee. V. 428 : [Vien]nent ou autre maladie. V. 541-546 : [En
esté] pour la grant chaleur/[Car plu]s a en li de froideur,/[Cest vo]ir, que
jaie ci nommee/[Ainsi] a bonne destinee./[Li piez] de porc est le plus sain,/[O les]
membres si est le groing. V. 554 : [Et a] tout le cors purement. V. 659 : [Sont r]emuez au
temps maien. V. 672 : [Apr]és tierce si conme il doivent. V. 777 : [Tout a]dés
desté le contraire.
Cette uvre nest malheureusement conservée que
dans un seul manuscrit. Peut-être la découverte dun nouvel exemplaire indemne
permettra-t-elle (un jour ?) de combler définitivement les lacunes et de vérifier aussi
la valeur des conjectures. Cest ce que nous souhaitons vivement.