En 1919, la République Française a supprimé deux clauses essentielles du traité
d'annexion. Les deux clauses en question sont l'exemption, pour la Savoie, des deux plus
lourds impôts d'alors : celui du sang pour tous les savoisiens (confirmation du statut de
"Neutralité Helvétique" de la Savoie), celui des droits de douane et droits
indirects pour les savoisiens du nord (extension de la petite zone franche existante en
une grande zone, dite "zone d'annexion").
Cela fut fait sans consulter le peuple de Savoie et sans, pour autant, dénoncer le
traité, qui constitue la seule légitimité des institutions françaises sur le sol de
Savoie. Or, l'article 55 de la constitution française de 1958 confère aux traités une
autorité supérieure à celle des lois.
S'agissant de la Zone Neutre, les frontières de l'Europe furent redessinées lors
du Congrès de Vienne de 1815.
La Confédération Helvétique qui avait, comme la Savoie, connu l'invasion des
troupes françaises, voulait obtenir la reconnaissance de la neutralité comme un principe
traditionnel et fondamental de la politique Suisse.
Genève avait été annexée, peu après la Savoie, par la République française
et ne voulait pas renouveler une telle expérience. La ville de Genève souhaitait
rejoindre la Confédération Helvétique. Enclavée dans les terres de Savoie, Genève ne
pouvait devenir un canton Suisse que si la Savoie lui cédait quelques communes afin
qu'elle s'agrandisse.
Pour protéger la Savoie de la convoitise française et pour établir une zone de
sécurité entre le Piémont et la France, le duc de Savoie et roi de Sardaigne demanda et
obtint que la neutralité perpétuelle qu'on venait de reconnaître aux corps helvétique
fut étendue au nord de la Savoie, moyennant cession de 24 communes savoisiennes à
Genève, qui venait d'être érigée en canton Suisse. La garde de cette neutralité
était confiée à la Confédération.
La zone neutralisée couvrait plus de la moitié du territoire savoisien où
résidaient alors 70 % de la population.
Les puissances européennes, tout en garantissant la neutralité de la Suisse, lui
imposaient l'obligation de garantir celle de la Savoie, qui avait payé d'avance sa
protection en abandonnant une partie de son territoire et de sa population à la Suisse.
Le statut obtenu par la Savoie autorise la conscription, mais les troupes ainsi levées ne
devaient être utilisées que pour défendre la neutralité de la Savoie. Il est en outre
interdit de faire stationner des troupes régulières dans la zone neutralisée, d'y
édifier des fortifications, d'y lever des contributions de guerre.
L'article 2 du traité d'annexion de 1860 confirme la neutralité helvétique de la
Savoie : "Il est également entendu que S. M. le Roi de Sardaigne ne peut
transférer les parties neutralisées de la Savoie qu'aux conditions auxquelles il les
possède lui-même et qu'il appartiendra à S. M. l'Empereur des français de s'entendre
à ce sujet, tant avec les puissances représentées au Congrès de Vienne, qu'avec la
Confédération Helvétique et de leur donner les garanties qui résultent des
stipulations rappelées dans le présent article".
Le traité d'annexion implique donc qu'en Savoie française l'armée, en temps de
guerre est suisse et que l'armée française est considérée comme étrangère et n'a pas
de place sur le sol de Savoie (ce qui est contradictoire avec les notions françaises
d'identité nationale et d'intégrité territoriale !).
La loi de 1905 sur la conscription permettra de régler le problème savoisien.
Elle instaurait un service militaire de deux ans obligatoire pour tous les citoyens
français. Les savoisiens étaient soumis à ce service militaire, mais le statut de
neutralité helvétique interdisait de les envoyer guerroyer hors du territoire de la
Savoie. Pour tourner cette disposition en 1914, tous les savoisiens en âge de porter les
armes furent consignés dans leurs casernes deux jours avant la déclaration de guerre.
Puis ils furent envoyés au front et l'article 2 du traité d'annexion trahi.
Dès le début de la première guerre mondiale était lancée en Savoie du Nord une vaste
campagne contre la Zone Franche et contre la Suisse, où trois ligues oeuvraient pour
semer la discorde entre suisses et savoisiens (A. VIBERT, président de la Ligue
Anti-Allemande chablaisienne, écrira dans la revue Le Réveil National que "Derrière
tout Suisse se cache un Boche").
Au lendemain de l'armistice, la France dénonçait la neutralité de la Savoie et
la grande zone franche, officialisant ce qu'elle avait accompli à la faveur du chaos de
la guerre. Cette trahison des engagements pris fut négociée avec les puissances garantes
des engagements et des traités qu'elle avait bafoués. C'est le 28 juin 1919 par
l'article 435 du Traité de Versailles que "les hautes parties contractantes,
tout en reconnaissant les garanties stipulées en faveur de la Suisse par les traités de
1815 ( ) constatent cependant que les stipulations de ces traités ( ) relatifs
à la zone neutralisée de la Savoie ( ) ne correspondent plus aux circonstances
actuelles. En conséquence, les Hautes-Parties contractantes prennent acte de l'accord
intervenu entre le gouvernement français et le gouvernement suisse pour l'abrogation des
stipulations relatives à cette zone qui sont et demeurent abrogées". Il
apparaît que :
Les "garanties stipulées en faveur de la Suisse par le traité de 1815"
sont reconduites, celles stipulées en faveur de la Savoie par le même traité sont
abrogées.
Nulle référence n'est faite au traité d'annexion de 1860, alors que la France
l'a dénoncé en abolissant les droits garantis à la Savoie.
La France a fait reconnaître lors du traité de Versailles la neutralité
perpétuelle de la Suisse qui, en contrepartie, oubliait la parole qu'elle avait donnée
aux savoisiens d'être garante de leur neutralité, tout en conservant les territoires
qu'elle avait obtenu pour cela.
Le traité d'annexion de 1860, "plébiscité" de façon sujette
à caution et dont deux clauses majeures (la neutralité et le zone franche) n'ont pas
été respectées est donc caduc.